comprenez

Je restais assis comme si je n’avais pas été là.

— Tri-li-li.

Le silence, de nouveau, la prairie, l’azur, le soleil, déjà plus bas, des ombres qui s’allongeaient.

— Tri-li-li !

Mais cette fois, il y allait carrément, c’était agressif comme un signal d’assaut. Et aussitôt tomba un

— Berg !

À voix très haute, très nette… je ne pouvais pas ne pas demander ce que cela signifiait.

— Comment ?

— Berg !

— Quoi, berg ?

— Berg !

— Ah oui, vous parliez de deux juifs… C’est une histoire juive.

— Quelle histoire ? Berg ! Le berguement du berg dans le berg – vous comprenez ? – le bemberguement du bemberg…

Il ajouta d’un ton rusé :

— Tri-li-li.

Witold Gombrowicz, Cosmos, Denoël, p. 158.

Cécile Carret, 11 déc. 2007
dimanche

Promenade rapide, avec Cathy, sur le chemin parallèle à la N306. Une éternité que nous n’avions pas eu un seul instant pour marcher. Il gèle. Le givre s’attache à tout ce que le soleil n’atteint pas. Le froid me cuit les oreilles. Derrière la résidence, des gens prennent congé, comme on fait, le dimanche, en fin d’après-midi, l’hiver, et qu’un vague désespoir se mêle à l’obscurité qui descend.

Pierre Bergounioux, « dimanche 22 novembre 1998 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 1012.

David Farreny, 27 déc. 2007
calcanéum

Si le soleil est aussi grand et tel que nous le voyons, il le doit à sa nature intime ; mais cette place qu’il occupe dans le monde, c’est l’œuvre de l’Ordonnateur. Pour un corps de telle nature et si vaste, vous ne trouverez pas une place meilleure dans tout l’univers. Pour le pied non plus vous ne pouvez trouver dans le corps une place préférable à celle qu’il occupe. La position du pied et du soleil dénote une égale habileté. Ce n’est pas sans dessein que je compare l’astre le plus brillant à la partie du corps la plus abjecte. Qu’y a-t-il de plus vil que le calcanéum ? Rien. Cependant nulle part ailleurs il ne serait mieux placé. Qu’y a-t-il de plus noble que le soleil ? Rien. Dans tout l’univers il ne saurait être placé plus convenablement. L’univers est ce qu’il y a de plus grand et de plus beau.

Galien, « De l’utilité des parties du corps humain », Œuvres anatomiques, physiologiques et médicales (1), Baillière, p. 263.

David Farreny, 29 juil. 2008
voix

Une voix humaine qui ne soit pas psittacisme, aussi rare que le bruit d’une averse au Tanezrouft.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 45.

David Farreny, 17 juin 2009
sacrificiel

Lorsque l’hydre est attaquée par un crabe, elle lui abandonne un tentacule, lequel repoussera de toute façon. C’est ce que les biologistes marins appellent un leurre sacrificiel.

Véronique Bizot, Mon couronnement, Actes Sud, p. 73.

Élisabeth Mazeron, 28 juin 2010
nouvelle

Me voilà bientôt grande comme la girafe à laquelle je ressemble, selon papa, et la transformation commence. Je m’intéresse aux vieilles robes de ma cousine. Des tissus à fleurs avec de fines ceintures vernies et des chaussures pointues assorties qui me font mal aux orteils. Je rentre de l’école en clopinant et annonce la nouvelle. Maman ma fait « Chuuut ! » et me donne la ceinture élastique et les serviettes pour absorber le sang. Je me dis que c’est l’équivalent des journaux de papa pour son menton.

« Ne laisse pas ton père les voir », recommande-t-elle. Toujours à cacher les femmes, comme si nous étions défendues.

Claire Keegan, L’Antarctique, Sabine Wespieser, p. 239.

Cécile Carret, 23 déc. 2010
engendrement

À la lumière, par conséquent, fait défaut l’unité concrète avec soi que la conscience de soi possède en tant que point infini de l’être-pour-soi ; et c’est pourquoi la lumière est seulement une manifestation de la nature, non pas de l’esprit. C’est pourquoi, deuxièmement, cette manifestation abstraite est en même temps spatiale, absolue expansion de l’espace, et non pas la reprise de cette expansion dans le point d’unité de la subjectivité infinie. La lumière est dispersion spatiale infinie, ou, bien plutôt, infini engendrement de l’espace.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Des manières de considérer la nature (additions) », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 394.

David Farreny, 28 fév. 2011
espèce

Deux cerfs affrontés, leurs bois inextricablement imbriqués, secouent l’échine et tournent sur place sans parvenir à se dégager tandis qu’une espèce de daim dans le public susurre à l’oreille d’une biche des choses osées qui la font rire.

Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 49.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
obscurcit

Le rapport entre le mystère et l’ignorance : est-ce leur méconnaissance d’elles-mêmes qui obscurcit les choses ? Doivent-elles ignorer qu’elles sont mystérieuses ?

Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 137.

David Farreny, 2 avr. 2013
simplement

— Et vous, que faites-vous ?

— La même chose que le serveur de Pest qui prend huit commandes de café à la fois. L’un des clients commande le café clair et tiède, l’autre noir et brûlant, le troisième noisette et froid, et le serveur crie au garçon de comptoir : « huit cafés ! » tout simplement.

Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 103.

Cécile Carret, 22 juin 2013
quoi

Et ce sentiment qui la minait d’être capable de faire à peu près n’importe quoi de sa vie si seulement elle savait quoi, ce sentiment qui lui faisait perdre le plus gros de son temps depuis des années à essayer des voies et à les évacuer parce qu’elle valait mieux, ce sentiment, réussit-elle à exprimer grâce à Brooke, ce sentiment, donc, disparaissait de lui-même parce qu’elle faisait enfin quelque chose sans se poser de question.

Alain Sevestre, Poupée, Gallimard, p. 283.

Cécile Carret, 19 mars 2014

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